Correction de copie

Publié le par S R

Des ciseaux, presque en direct (voir ce précédent billet).

J'ai décidé de réaliser un exercice d'écriture. Ce billet sera donc écrit de manière automatique. Il n'y a pas de thème précis, sinon, peut-être que l'écriture nécessiterait une idée, que l'écriture ne serait possible que si l'auteur lui donne un sens. Autrement dit, pour écrire, il faut avoir quelque chose à dire. L'exercice qui suit en est la démonstration, par le contre-exemple. Bien sûr, en toute logique, ce n'est pas une démonstration. Il s'agira, peut-être et plutôt, d'essayer de démontrer le contraire : que de l'écriture automatique, quelque chose peut s'extraire, avec ou contre la volonté de son auteur. C'est à cette naissance ou à cette exhumation, que je vous propose de participer.

Et voilà, bonne introduction me semble-t-il. Belle présentation : bouche bien rouge, joues sans stigmates acnéiques. Pas mal, continue, si tu l'oses, en reprenant la suite et en la traduisant, pour la rendre intelligible, et sans lui ôter son caractère. Excave le sens de ta production et vois si l'itération mène au littéraire.

L'écriture n'est pas une activité facile. Le débutant que je suis doit s'entraîner, paraît-il, pour progresser. Je veux bien croire à cette fadaise, bien qu'il me vienne à l'esprit que certains auteurs étaient talentueux très jeunes. Mais de quel talent pourrais-je m'arroger la possession ? Celui de faire des phrases un peu grasses, déjà. Celui de les apprécier, ensuite. Et celui d'y voir un trop-plein de choses qui font déborder le plat comme l'écume des pâtes se répand sur la plaque de cuisson. Inévitablement.

Alors, il faut s'astreindre à mieux écrire. Et pour s'en rendre compte, il suffit de se relire. Soit ça sonne bien, et on garde. Soit ça sonne faux, et on jette. Voilà ce qu'il faut faire. Et pourquoi ? Parce que nous ne maîtrisons pas les mots avant qu'ils soient dits, qu'ils soient écrits. Si nous avons quelque chose à dire de précis, c'est possible. Mais alors, c'est d'un travail en amont de l'écriture qu'il est question, ici. L'écrit méritoire ne serait que le produit de la réflexion. Sans cet ingrédient, le gâteau ne monte pas. Aurais-je enfin découvert la recette ? Récolter dans ma jarre les distillats de l'émotion et de la réflexion ?

Et ensuite, la coupe, la réduction des têtes de Marie-Jeannes en furie qui voudrait nous faire tourner l'esprit, juste pour rigoler et mieux se moquer de nous.

Non ! ça suffit. « Ici, je veux une phrase sèche » : c'est le projet.

Une phrase bien dite, bien écrite, est donc le produit d'une maturation. Puis d'un post-traitement pour mocheparler. On réfléchit, on pense. Pour ça, il faut une grosse tête, c'est mieux. À défaut, on peut quand même le faire. C'est un peu coupable, mais pas plus que la pratique voluptueuse et solitaire du jet de queues de cerises infertiles. Et puis tout le monde le fait, hein ?

Stop !

Le sérieux se mesure à la taille. Plus c'est petit, plus c'est sérieux. Le sérieux est l'exigence suprême. Pour écrire, il faut plus qu'une idée : il faut un objet qui nous paraît essentiel. Un objet poli : des heures de frottement de l'esprit en aura affuté le contour. Et, l'écriture, n'est que le rendu final. La dernière étape. Une façon de projeter l'objet dans une autre dimension. Le choix des armes a été fait : il s'agit des mots, du langage. On aura choisi une langue. On aura défini un style, un niveau, un champ, toutes ces caractéristiques qu'on souhaite voir portées par le récit. Et le récit doit être court, simple, élégant, sans répétition. On doit le faire, puis le défaire. Oser raturer, détruire, abandonner. Diminuer sa taille, c'est, par la taille, agrandir sa force.

Le dernier paragraphe du texte que je modifie a pour objet la vanité de l'action du fait de l'inéluctabilité de l'instant à venir, et que, sur cet instant à venir, nous ne pouvons rien ou presque rien. Cette proposition est erronée. Pour le constater, il suffit de faire un choix et de constater les conséquences de ce choix. On pourrait être tenté d'analyser la situation sur le mode de l'illusion vécue comme la réalité, et dire que le choix n'existe pas, que les conséquences sont prédéterminées, qu'il n'y a pas de libre arbitre. Mais je refuse de voir les choses ainsi, par choix, qu'il soit considéré prédéterminé ou non n'y changeant rien.

Ce dernier paragraphe incite également à se poser la question de la raison qui nous pousse à agir, par exemple au travers de l'écriture. Au delà du choix qui rend possible l'action d'écrire, pourquoi le faire ?

C'est à cette dernière question que je propose de ne pas répondre. En fait, qu'importe la raison. Ce qu'il suffit, c'est de constater l'action et de la prendre pour ce qu'elle est : la marque du vivant qui nous traverse.

Publié dans écriture, phi

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