Peut-on lier l’intelligence à la notion d’effort ?

Publié le par S R

Avant de marcher

Je suis en train d'écrire un billet (un exposé, autrement dit une étude peu rigoureuse) concernant les nombres et les chiffres.

Durant sa rédaction, il m’apparaît la chose suivante : j'écris sans trop d’effort, puis, il arrive un moment où ma pensée bute sur un problème que je n'arrive pas à saisir immédiatement. Mon esprit vient s'écraser sur le mur de l'incompréhension.

Est-ce cela, l'intelligence ? ce domaine dont les frontières sont l'incompréhension, et, par extension, l'effort qu'il nous faut produire pour supprimer cette incompréhension et repousser, si possible, cette limite ?

Constat, modélisation

Durant la rédaction du billet sur les chiffres, donc, il m’apparaît la chose suivante : j'écris sans trop d’effort, il ne s’agit que d’observations assez immédiates, posées sur le papier. Une liste de constats triviaux. Leur agencement constitue une gymnastique intellectuelle très aisée, il suffit de faire quelques regroupements qui apparaissent d’eux-mêmes, sans que je fasse l’effort de les convoquer.

Ensuite, avec les éléments visibles sur le papier, d’autres concepts vont apparaître, émerger, comme par enchantement ; des concepts liés ou pas. Là encore, pas d’effort. Pourtant vient un moment où ces concepts vont devenir nombreux ou hétérogènes ou trop éloignés les uns des autres pour que je puisse, très rapidement et toujours sans effort, trouver un concept général pour les lier. C’est ici que la limite de l’intelligence brute (*) est atteinte, me dis-je.

Admettons que ce constat soit réalisé par d'autres et observons le processus qui suit (***).

Notez au passage qu'il s'agit de l'observation de notre limite par nous-même à un instant donné, sans comparaison, que ce soit avec quelqu'un d'autre ou bien nous-même(****).

Il faut ensuite faire un effort qui consiste à échafauder des plans, tenter de faire appel à des connaissances non retenues, puisées en mémoire externe, afin de construire un raisonnement qui nous pousserait plus loin dans l’analyse (*****).

La capacité de manipulation et d’accès aux données connues est en soi une manifestation de quelque chose d’interne qui sert d’effet multiplicateur à l’intelligence. Ainsi on peut facilement (et peut-être de manière erronée) tenter de corréler le nombre de connexions intuitives avec la capacité à retenir de l’information, de deux manières.

En gros c'est simple : plus j'ai de mémoire, plus j'ai d'information disponible à fournir en entrée du processeur cérébral qui va distiller des trucs de manière magique, trucs qu'on appelle idées, qu'on qualifie parfois de géniales, mais qui sont plus fréquemment affublées d'un adjectif scatologique comme dans "idée de merde" ou génital comme dans "idée à la con" (******).

La mémoire morte

La première source d'idée qu'on pourrait corréler aux nombre de connexions intuitives est la mémoire morte. La mémoire morte est le puits de données auquel on peut faire appel pour y trouver des notions, sans faire appel à une mémoire externe. C'est plutôt rapide, on peut y stocker pas mal de choses(*******).

Par exemple, l’orthographe du verbe “corréler”, qui prend bien deux “r” et un accent aigu sur le premier “e”, donc un seul “l”, cette orthographe est une information à laquelle on a accès tout simplement en y pensant. Ou bien on ne l’a pas. Deux méthodes alors dans ce dernier cas : soit les essais erreurs, donc la reconstruction de l’information à l’aide de suppositions et d’un ensemble de règles, certaines pifométriques, allant jusqu’à l’estimation de la bonne graphie du mot, soit l’accès à la mémoire externe. Le correcteur orthographique peut appartenir aux deux (on corrige tant qu’il nous dit que c’est erroné, puis, lorsque c’est correct, on admet qu’on a puisé dans la mémoire de l’ordinateur l’information “orthographe du mot corréler”).

Autre exemple pour lequel toute tricherie m’apparaît difficile, c’est la connaissance du code numérique associé à certains caractères. Ainsi "o e collés" est 156, "A majuscule accent grave" est 201, "C majuscule cédille" est 199. "E majuscule accent aigu" est 192. "Guillemets français ouvrants" est 171. "Guillemets français fermants" est probablement 202, mais j’ai toujours une incertitude [erreur, c’est 187]. Je sais que "E majuscule accent grave" n’est pas loin de 200, et j’y vais alors par essai/erreur [deuxième essai pour les guillemets fermants].

Ce n’est pas une mémoire très fiable, et, bizarrement, certains éléments s’y fourrent facilement (les guillemets ouvrants) et pas d’autres (les guillemets fermants), alors qu’on les utilise autant (bon, OK, peut-être un peu plus les ouvrants, mais passons) et qu’ils appartiennent tous deux à la même catégorie de choses à mémoriser, quoi que puisse être cette catégorie (bon, OK, pas des catégories genre “tout ce qui commence un truc” et “tout ce qui finit un truc”. Non mais elle commence à m'énerver, la petite voix du "oui, mais").

La mémoire de travail

La seconde source d'idée qu'on pourrait corréler aux nombre de connexions intuitives est la mémoire de travail. Je comprends cette mémoire comme étant le nombre de notions qu’on peut retenir dans l’immédiat afin de les mélanger, de les traiter, d’en faire quelque chose en les ayant toutes en tête à l’instant du traitement, chacune indépendamment de l’autre, et indépendamment du traitement lui-même.

Ainsi si je pense à 2, 4, 6, 8 et 10, ce n’est pas la même chose que de penser à “les 5 premiers nombres pairs strictement positifs” qui est une notion en elle-même qu’on peut détricoter en 2, 4, 6, 8 et 10 si on a les bons ciseaux. Si j’ai 2, 4, 6, 8 et 10 en tête, j’ai, exactement de la même façon 6, 4, 10, 2 et 8. Donc je peux regarder un sous-ensemble et dire immédiatement ce qu’il manque, une fois l’ensemble parcouru. Exemple : 4, 8 10, 2. Lequel manque-t-il. Immédiatement, vous trouvez 6, probablement car vous l’avez vu écrit pas loin, donc votre œil vous a fourni une information externe, ou bien vous avez observé qu’un son n’était pas présent (tous ces nombres commencent par un son dur ou aspiré, alors que "six" commence par une sifflante [c’est une typologie personnelle, je n’y connais rien en phonétique]), ou, encore plus simplement, parce qu'on connait par cœur cette série de cinq nombres.

Dix clameurs (et ça fait beaucoup)

J’ai défini à ma manière la mémoire morte (long terme) et la mémoire de travail, qui sont des mémoires internes, et la mémoire externe (issue de l’ordinateur, d’un livre, de ce qu’on est en train de vous dire). La première réaction raisonnable à cette lecture, et je vous y invite fortement, est d’aller chercher des définitions bien plus précises rédigées par des personnes qui ont fait plus qu’écrire un billet sur un blog, sur un sujet connexe, en n'y connaissant rien.

Conclure, svp

Voilà, c’est dit. Quel était le sujet initial du billet ? Hum, c’est lié à l’intelligence et l’effort. Là, j’ai dû faire appel à la mémoire entre les deux : pas long terme, j’aurai probablement oublié ça dans une heure, certainement dans un an, pas de travail, ce ne m’était pas immédiatement accessible. On peut également considérer qu’il n’y a pas d’entre deux, que c’est de la mémoire à long terme, point barre, que le processus d’oubli vient continuellement élaguer. On stocke et on vire illico ou presque illico, là, j’ai eu du bol, ça a persisté quelques minutes. Je vais pas faire une IRM pour si peu.

Le sujet du billet, donc, c’est de dire qu’à partir du moment où un effort est nécessaire, par exemple noter sur du papier pour construire un raisonnement, oublier des pans entiers du raisonnement, ne plus faire appel qu’à des résultats partiels, le tout pour construire une démonstration, alors on a atteint la limite de son intelligence. J’ai envie de dire intelligence brute, comme ça, brutalement.

À partir du moment où ce n’est plus facile, on sort du sentier, mais peut-être d’un seul pied. Ça passe encore. À partir du moment où on est embourbés jusqu’aux genoux et qu’on ne peut plus marcher sans faire appel à des artifices comme se harnacher et se treuiller en grimpant à une corde qu’on aura jetée par dessus une branche suspendue par chance pas trop haut au dessus de notre tête, la limite a été atteinte. Sekai owari da (oui, j’aime bien les animés, dans lesquels le héros va souvent crever d’un instant à l’autre, son adversaire l’informant par politesse de l’état de précarité dans lequel il se tient, généralement pas très bien d’ailleurs, et ajoutant qu’il va courtoisement y mettre fin. C’est à ce moment-là qu’on attend que le héros nous ponde un truc génial pour s’en sortir. Soit vous regardez Mac Gyver, et il s’en sort en jetant une crotte de nez qui déclenche une avalanche qui emporte l’ennemi alors que Mac Guigui, lui, était protégé par un élément inamovible du décor, soit vous regardez Games of thrones, et le héros crève, probablement de manière dégueulasse et douloureuse. Aucun des deux n'est un animé).

Le billet, donc. Ben c’est tout en fait, non ?

Tassement de poil (**)

(*) curieusement, même si je ne définis pas ce qu'est l'intelligence (je le ferai demain matin), j'éprouve le besoin d'affecter "brut" au mot "intelligence" pour distinguer comme deux formes d'intelligence. L'intelligence immédiate qui serait une sorte de constat que chacun peut faire de sa capacité de compréhension et de manipulation. En gros, jusqu'où est-ce que je turbine vite ? L'intelligence non immédiate, qui procède d'un travail (effort) à plus long terme (ça peut être rapide, mais j'ai dû m'arrêter quelques secondes pour comprendre, faire reformuler, et... ah oui, j'ai compris ; ça peut prendre des années : ah bon, ça t'emmerde que je fasse ça comme ça, pourquoi ne l'as-tu pas dit plus tôt ? ah, tu me l'as déjà dit. Combien de fois, dis-tu ? Ah... OK.).

(**) épi-log ; épilogue. On peut considérer le log comme un tassement : 1000 en 3, 100 en 2, 10 en 1. Rien à voir avec l'alcool (tasser).

(***) donc je fais de mon cas une généralité

(****) donc je renvoie gentiment au dix clameurs pour éviter de voir là apparaître une critique sur la comparaison qui n'est pas raison de la colère qu'on peut avoir, justifiée, à l'encontre des tests de QIQI.

(*****) ou qui, plutôt, nous donnerait de l'eau au moulin, et nous ferions alors des aller-retours entre le domaine de l'intelligence brute et immédiate, et celui de la construction planifiée arrivant, un, deux, à un résultat.

(******) et ce ne sont pas des adjectifs, merci la petite voix, je conserve quand même pour faire preuve d'indépendance de moitié d'esprit.

(*******) En fait, je devrais plutôt dire mémoire non volatile, comme une carte mémoire, plutôt que mémoire morte, qui est par définition (qui contient des exceptions) non réinscriptible (Mémoire morte=MEM=ROM=Read Only Memory). Mais j'ose !

Nota :

Il y a beaucoup de répétitions dans ce texte (effort, intelligence). Curieusement j'ai trouvé plus adapté de ne pas les faire sauter, en pensant que ça rendrait le discours moins indigeste. À y repenser, ça ressemble plutôt à de la flemme et à de l'incompétence, mais j'essaye de contourner cette impression via cette note. Et j'écris nota, ça fait plus classe.

Publié dans psy

Partager cet article

Repost0

Commenter cet article